
“I have a Dream”
J’avais 9 ans quand Martin Luther King a prononcé son discours durant sa marche sur Washington. Rêve de fraternité qui s’est gravé en moi et a nourri ma foi en l’humain. Son assassinat en 1968 a été un bouleversement. Il avait le même âge que ma mère. Et voilà, il était mort et ma mère était bien vivante et tellement pénible pour l’adolescente que j’étais.
Si lointaine et si proche Amérique. Mon Amérique à moi, mon apartheid était de vivre avec ma famille et quelques autres, comme une blanche parmi les noirs. J’habitais “chez les fous” comme le disaient, à cette époque, les “gens normaux”. Un hôpital psychiatrique, village de souffrances dans une enceinte dont les portes étaient gardées par un concierge. Terrain de jeux et de rencontres avec les enfermés, les abandonnés, les dépressifs, les délirants qui erraient dans ce vaste domaine à la marge du monde.
Mon père y travaillait comme ingénieur responsable des services techniques et à ce titre bénéficiait d’un logement de service. Longtemps j’en ai voulu à mes parents de m’avoir infligé ce lieu de vie où, pour les “blancs normaux” au-delà des murs, j’étais noire. Ce lieu où des cris atroces déchirant la nuit me réveillaient le cœur affolé.
Il m’a fallu une longue marche à travers des déserts, des nuits obscures de l’âme, avant de découvrir, puis d’accepter que j’étais née précisément là où tout était en place pour m’enseigner, pour me pousser à mettre en œuvre des ressources que j’ignorais posséder, pour relever le défi de l’incarnation, pour m’obliger à la conscience, pour apprécier cette école de l’altérité qu’est la planète terre. Il est des “grâces” que l’on met de longues années à accueillir comme telles.
“Marche aujourd’hui, marche demain, c’est en marchant qu’on fait son chemin…”, disent les conteurs. Conteuse, je le suis devenue. Pour me sentir de la lignée des humains, pour donner du sens, pour nourrir l’émerveillement face à l’ingéniosité de l’univers, pour attendrir les cœurs, pour que se réalise mon rêve. Rien n’est tracé d’avance. Chaque pas nous impose de quitter l’ancien pour voir se dessiner peu à peu ce qui doit être accompli.
Le rêve, niché en moi et que j’avais oublié, mon rêve d’enfant, de fraternité, m’est apparu, avec force et soudaineté, sous sa forme, un jour de mai alors que je débutais ma formation en psychothérapie. Un lieu, dans la nature, pour y vivre, pour y accueillir des êtres en quête. Un lieu de réparation des âmes blessées. Un lieu pour renouer avec l’élan vers la beauté intérieure et le profond désir spirituel, cette impérieuse nécessitée. La/le sage en nous, toujours veille, pour peu que l’on soit prêt à l’écouter et à le suivre.
Plus de vingt années de “labeur”. J’aime ce mot : labeur, labourer, du latin “laborare” qui signifie “travailler”. Labourer la terre, l’ouvrir en préparation de l’ensemencement. De saisons en saisons, j’ai ouvert et pacifié ma terre intérieure, j’ai semé et patiemment nourri, de ma foi en l’humain, le grain de mon rêve. J’ai rencontré et aimé mon humanité souffrante grâce à la psychothérapie. J’ai rencontré et aimé celle des frères et sœurs venus dans mon cabinet – laboratoire.
Et aujourd’hui ?
L’Ecole d’Art – thérapie – Catherine Jenny
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