Le voyage du héros
Extrait du “Voyage du héros” de Paul Rebillot
Dans les cultures anciennes et tribales d’aujourd’hui, quand les gens passent d’une étape de la vie à une autre, ou quand une nouvelle tâche doit être entreprise, ils passent par des rites de passage, des initiations qui leur procurent une totale expérience de ce passage qu’ils subissent. Cette expérience totale prépare le corps et le cœur aussi bien que l’esprit pour le nouveau niveau d’être. Même au siècle précédent, un jeune couple voulant se marier devait partir et construire sa propre maison ou faire une tâche physique qui fonctionnait comme un rite de passage d’un logis familial à la création d’un autre. Même si ça n’a pas forcément été mis dans une forme rituelle, la construction d’une grange réunissait toute la ville pour soutenir les jeunes gens dans ce passage.
Aujourd’hui, à l’ère de l’intellect « éclairé », nous avons perdu ce sens du rituel. Mais il y a toujours une part de nous qui est moins rationnelle – ou peut-être plus que rationnelle ; une part enfantine de nous qui a besoin de vivre la magie d’un rite de passage. Encore et encore, mon travail avec les gens m’a montré la souffrance et la confusion causées par le manque, dans notre société, de rites de passage significatifs. Sans chamans ou maîtres rituels pour les guider, les femmes et les hommes modernes doivent trouver leur propre chemin solitaire et généralement traumatique d’une étape de la vie à l’autre, que ce soit la découverte enfantine que le père Noël n’existe pas, l’approche embarrassée de la puberté chez un adolescent, un mariage entre adultes ou un divorce, ou un changement de carrière ou de logis. Tout changement de ce type nécessite un mouvement allant d’un niveau d’être à un autre. A chaque seuil, quelque chose meurt et quelque chose vient à naître.
De nos jours, il y a un profond vide spirituel dans notre société. Nous le voyons dans le comportement d’autodestruction tout autour de nous – dans l’abus de drogues et d’alcool, dans l’épidémie de crimes et de suicides d’adolescents. Ce vide peut refléter notre manque culturel de rituels de seuil. Les rites de passage parlent à l’esprit humain. Là où il n’y a pas de rites, l’esprit est nié. Le rituel nous propulse de la dimension simplement personnelle de notre expérience dans l’universel, nous reconnectant ainsi avec les réalités spirituelles de l’existence, sans lesquelles la vie devient un désert.
Les Bouddhistes disent que l’une des peurs fondamentales est la peur d’états mentaux insolites. Nous les craignons en nous-mêmes, et nous les craignons chez les autres. Une façon de traiter cette peur fondamentale est de vivre un état mental insolite en toute sécurité, de façon à découvrir comment y pénétrer et – le plus important – comment en sortir. Les substances psychédéliques sont un moyen, les accès psychotiques en sont un autre ; mais il y a toujours d’autres moyens de nous renseigner sur les états altérés. La transe, la respiration holotropique, certaines formes de yoga, et les techniques des derviches tourneurs comptent parmi les différents moyens que nous pouvons utiliser pour pénétrer volontairement dans des états altérés. Pour moi, la façon la plus intéressante et la plus familière est le drame rituel. L’intérêt d’une telle forme est qu’elle permet aux gens de réaliser qu’ils peuvent à la fois entrer dans et sortir d’un état extraordinaire en toute conscience.
Pour répondre à ce besoin, j’ai créé dans le Voyage du Héros un rite de passage suffisamment universel pour permettre aux gens de reconnaître le modèle du changement, quel que soit ce changement.
…
Le voyage du Héros est une occasion de jouer une histoire de transformation dans le cadre d’un rituel, là où l’éternité et le temps chronologique s’interpénètrent. Quand nous prenons une structure archétypale et la mettons en acte ici et maintenant, notre vie quotidienne est illuminée par l’éternité. Cela crée la possibilité d’un échange entre les deux dimensions ; un seuil est ouvert, à travers lequel le monde archétypal peut pénétrer dans notre vie, apportant une nouvelle énergie et une nouvelle forme dans le monde quotidien. Cette interpénétration de deux mondes est la nature essentielle du drame rituel.
Entendre l’appel
Un Héros, que ce soit dans un mythe ou dans le monde moderne, est quelqu’un qui entend un appel et qui lui répond. C’est difficile à notre époque, parce que nous recevons constamment de pseudo-appels à travers la publicité : pour faire quelque chose, pour le faire d’une façon différente, pour acheter quelque chose ou pour aller quelque part. S’il n’y a pas en nous de réponse naturelle à ces pseudo-appels, le travail du publiciste sera de créer une sensibilité qui nous poussera à y répondre. Les émissions commerciales à la TV, les pubs des magazines et les panneaux d’affichage ne cessent de lancer des appels de cette façon fausse. Malheureusement, cette pression permanente du « bouton à appuyer » nous rend difficile de reconnaître un authentique appel quand il se présente.
Quand se présente un authentique appel – un appel qui nous conduise d’une étape à l’autre de la vie, d’une carrière à une autre, d’une relation amoureuse à une autre – la réponse à cet appel résonne profondément dans l’être essentiel. Mais si nous sommes submergés d’appels, il devient facile de ne pas entendre la voix de notre Moi essentiel.
Il est crucial d’entendre et d’écouter cette voix, car elle nous appelle à continuer notre évolution – pas seulement comme êtres humains, mais comme une espèce de la planète. Nous sommes continuellement appelés pour notre évolution. Si le mécanisme de l’appel est si pollué par de faux appels que nous ne pouvons pas entendre la voix authentique, nous sommes dans une situation très dangereuse. Si beaucoup d’êtres humains sont convaincus que la satisfaction viendra d’un papier toilette plus doux ou d’un détergent qui rend vos mains suffisamment douces à toucher, alors nous sommes tous dans un triste état. S’occuper de ces faux appels peut en réalité devenir un écran contre l’appel authentique, un évitement.
Si nombre d’entre nous commencions à entendre nos vrais appels, pourtant, notre société aurait à subir une totale transformation : car nous réaliserions que notre façon de vivre ne satisfait pas l’appel authentique de l’être humain ; nous réaliserions que les choses matérielles ne peuvent pas se substituer à l’évolution spirituelle Si nous, comme espèce, commencions à écouter dans les profondeurs de notre appel personnel, nous risquerions moins d’être distraits par ce clinquant commercial ; l’énergie que nous mettons à consommer pourrait alors être tournée vers la découverte de soi et l’évolution personnelle.
Nous nous tenons au seuil d’un nouveau millénaire. Il est clair que nous ne pouvons pas continuer dans les mêmes schémas que par le passé, parce que la planète ne survivrait pas. Si l’humanité ne peut pas se hisser à un plus haut niveau de conscience et découvrir sa vraie fonction en relation avec l’évolution de l’espèce et de la planète, notre seul but sera l’autodestruction.
Je crois que notre fonction, en relation avec la totalité de l’univers, est bien différente de la fonction destructive que nous mettons en acte. Nous avons regardé la vie à travers une lentille noircie par le matérialisme et le consumérisme, et nous devons nettoyer nos lentilles pour voir plus clairement quelle est cette fonction.
Le Voyage du Héros est une façon de commencer à nettoyer ces lentilles, et de commencer à entrer en contact avec le niveau le plus profond de notre évolution personnelle, aussi bien que de l’évolution de notre espèce. Le Héros est celui qui entend l’appel et y répond. La nature du Voyage du Héros est de nous donner l’occasion d’entrer en contact avec notre propre appel interne à la transformation et d’aller découvrir les étapes que nous devons traverser pour accomplir cette transformation, et ainsi participer à l’évolution de l’humanité.
Articles École