
Lettre à mon corps Yvon, en formation à l’école d’art-thérapie – Juin 2022
Tant de contraintes je t’ai imposées et je me rends compte que j’ai passé bien trop peu de temps à m’occuper de toi. Courir, sauter, ramper toujours plus vite furent au débuts les injonctions que je croyais devoir remplir pour exister. Je t’ai donc utilisé comme on utilise un marteau pour enfoncer un clou. Je me suis alors agacé quand soudain l’outil ne fonctionnait plus, signe de sa défaillance alors qu’il s’agissait sans doute de me permettre, de m’autoriser à prendre une respiration, à souffler.
Maintenant que certaines limites ont été franchies, que quelques coups de bistouri ont sonné la fin d’un corps vu comme une entreprise qui se doit d’être rentable, je me rends compte de ce que tu as enduré et je ressens l’envie, l’envie profonde de te remercier.
A mes pieds qui m’ont permis de marcher si loin, de me tenir debout jusque aujourd’hui et qui me permettront de réaliser, j’en suis sûr, mes rêves de voyages. A mes jambes, qui m’ont porté avec tant de soutien toutes ces années, qui ont accepté de me suivre dans cette course folle de mes débuts et qui, je l’espère, ont accueilli avec beaucoup de joie la détente plus profonde de ces dernières années. A mon bassin, qui a porté et porte encore les fardeaux et qui a tenu et qui ne s’est pas plaint. A mon sexe qui j’ai trop souvent perçu comme dérangeant, comme le stigmate d’une foute originelle alors que c’est avec toi que j’éprouve de profonds plaisirs dans ma sexualité et que c’est par toi que j’ai pu donner la vie et goûter à ce plaisir indicible d’avoir des enfants.
Plus énigmatique est mon ventre. Par moment, tu sembles me contrarier, pas assez ceci, pas assez cela. Il m’arrive souvent de te caresser devant le miroir simplement pour vérifier que tu n’es pas trop gros. C’est pourtant toi qui déploies une énergie folle pour digérer tous ces aliments. C’est toi qui supportes mes excès quand j’ai la sensation d’être dépassé par les événements. Tu prends le relais, je le sens maintenant, de tout ce que je n’arrive pas à dire, à exprimer et à montrer, tout ça je le rentre au-dedans. Toi, tu es toujours là, alors merci pour ça. Mon cœur, trop souvent fermé par peur d’être blessé, car je l’ai beaucoup été plus petit. Tu l’as toujours su alors tu as été patient lorsque j’ai décidé d’enlever pierre par pierre la muraille que j’avais érigé devant toi. Merci. A mes épaules, si larges. Cette force m’a permis de tenir et de porter tout ce temps, la pression a été démesuré, je le sais, ça aussi. Vous aussi vous vous êtes montrées patientes. Vous avez accepté des opérations, des contorsions, vous avez accepté cette douleur qui m’a permis de comprendre que je ne souhaitais plus porter tout ça.
A ma tête qui a accepté de se cogner tant de fois pour que je redescende sur terre. Qui m’a permis d’apprendre tant de choses si vite. Là encore, plutôt que d’être agacé que ça n’aille pas plus vite je perçois avec plus de conscience à quel point ça va déjà bien assez vite et je peux me réjouir d’avoir tant appris grâce à toi.
Enfin, merci à ma peau qui a très rapidement évacué, par ses rougeurs sur tout mon corps, le trop plein que je ne pouvais prendre en charge. Merci à mon psoriasis de m’avoir soutenu, d’avoir pris le relais quand je ne pouvais plus. Je vois aujourd’hui que j’ai moins besoin de ta présence sur ma peau signe que les choses sont de plus en plus justes pour moi. Merci à mon corps pour tout ce soutien, tous ces états de jouissances, de maladie, tous ces signes que tu m’as mis sur mon chemin.
Merci à mon corps tout entier,
Yvon
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